Les Bantous font de ces hommes et femmes de petite taille, des personnes à tout faire à la limite du travail forcé, pour une rémunération qui va de 500 FCFA à 1000 FCFA par jour tout au plus.
Le temps de travail pour un pygmée Baka à Lomié est facturé à 500 fcfa la journée. Qu’il s’agisse de travaux champêtres (l’essentiel) ou de toute autre activité, ce prix est officiel et appliqué par tous les Bantous au mépris du Code du travail (1992) notamment en son article 63 qui prévoit que « la rémunération d’un travail à la tâche ou aux pièces doit être calculée de telle sorte qu’elle procure au travailleur de capacité moyenne et travaillant normalement, un salaire au moins égal à celui du travailleur rémunéré au temps et effectuant un travail analogue ». Cette somme est de loin inférieure au salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) qui est de 36 270 fcfa par mois. Ce constat a été fait lors de la descente sur le terrain du 02 au 06 février 2021 avec le concours de Rainforest journalism Fund qui travaille sur les questions relatives aux forêts humides, et est soutenu par Pulitzer Center. Le pays a par ailleurs été épinglé en 2019 par les observations finales du comité des droits économiques, sociaux et culturels (Desc) des Nations Unies concernant le quatrième rapport périodique du Cameroun. Il est dit au point 36 que « le comité prend note avec préoccupation des allégations selon lesquelles les conditions de travail précaires auxquelles seraient confrontés des membres des peuples autochtones s’apparentent à du travail forcé ». Le comité a exigé que la situation soit réparée et que les auteurs soient poursuivis en justice.
Sur le terrain
« Nos frères bantous nous piétinent beaucoup », explique le notable Sandja Daniel du campement Payo. « On nous prend la journée de travail à 500 fcfa », argue l’homme d’une cinquantaine d’années. « Celui qui est gentil peut nous donner un sachet de whisky, préparer un peu de nourriture ou donner le mbotoro (alcool de fabrication artisanale, ndlr), après il donne les 500 fcfa par personne », lâche-t-il. Les Bakas sont généralement sollicités pour travailler dans les champs de manioc, de plantain ou dans les cacaoyères, précise le notable. Irène Azam, enseignante du primaire au village, souligne qu’« ils font beaucoup de petits jobs. Ils vont le matin, ils reviennent le soir ; on peut leur paye 500 fcfa ou 1000 fcfa la journée ; parfois on leur donne simplement des vivres ; et quand ils ramènent ces 500 fcfa, c’est la fête ».
Au campement Mouangué le bosquet, c’est le même discours. Sa majesté Joseph Tindo explique que les Bantous viennent pour les tromper. Ils n’ont pas référé cette situation aux autorités administratives, a-t-il dit. Pascal Kokpa, le conseiller du chef est plus qu’en colère en évoquant ce sujet. « Le prix du Baka, c’est 500 fcfa même quand on discute », affirme l’homme d’une soixantaine d’années. Wamba Pierre, fils du village, rappelle que cette situation fait date. « Depuis nos aïeux, les Bakas ont toujours été marginalisés, exploités », regrette celui qui relève par ailleurs que les villages voisins en sont également victimes.
Pratique inacceptable
Certains habitants de Lomié qui emploient les Bakas, avouent effectivement que leur exploitation est devenue une règle. Plusieurs se sont cependant refusés à parler à visage découvert au regard du caractère inacceptable de l’abus dont sont victimes les Bakas. A la brigade de gendarmerie de la ville, on apprend en off que cette pratique est devenue normale parce que les Bakas ont, eux-mêmes, facilité cet état de chose. La raison est qu’ils travaillent juste pour consommer de l’alcool, soutient cette source. Eleh Noël, enseignant, confirme les faits. « Les Bakas, quand ils descendent ici, s’adonnent beaucoup à la consommation des fighters (whiskies en sachet). Il y a deux ans, j’ai fait la connaissance d’un homme natif du coin, il me disait qu’il suffit simplement d’avoir le fighter ou le mbotoro, de leur en donner, pour qu’ils viennent les aider à faire leurs champs ». Pour ce qui est de leur exploitation abusive, le diplômé en sociologie croit qu’il y a une mauvaise interprétation du dévouement de ce peuple autochtone. « Personnellement, quand j’observe les rapports entre les Bakas et les populations qui vivent avec eux, je me dis que tout dépend de leurs perceptions respectives. Le Baka pense par exemple qu’il vient aider quelqu’un qui a besoin d’une main d’œuvre dans sa gentillesse et sa générosité. Mais celui qui le prend pour main d’œuvre, voit autre chose. A ce niveau, je me dis que le sentiment qui anime les gens qui les recrutent, c’est l’exploitation ». Il conclut en précisant que « tout le monde sait que le salaire d’un Baka tourne autour de 500 fcfa accompagnés d’un fighter. Quand quelqu’un passe toute une journée dans votre champ et que son salaire n’est que 500 fcfa, ce n’est que pure exploitation ».
Causes et solutions
« Ce que nous constatons est que les Bakas servent plutôt de main d’œuvre aux Bantous moyennant une rémunération très infime, je dirais même modeste», soutient sa majesté Zengle Ntouh Richard, le maire de la Commune de Mindourou. L’élu local attribue ce fait à l’exploitation de la forêt (foresterie, braconnage, etc.) et à la sédentarisation des Bakas qui découvrent la « modernité ». Aussi, travaille-t-il à mettre à leur disposition des outils pour faciliter leur intégration à l’univers national majoritairement constitué de Bantous. D’après l’autorité traditionnelle et administrative locale, « il n’y a pas à proprement parlé au niveau de la Commune un programme spécifique pour les Bakas ; mais il y a un ensemble d’actions que la Commune mène en faveur des populations ». L’éducation et la santé occupent ainsi une place importante dans ces programmes. A cela, s’ajoute l’agriculture dont l’objectif est d’autonomiser ce peuple autochtone afin qu’il puisse satisfaire ses besoins quotidiens. C’est le même discours à la mairie de Lomié où les programmes communaux intègrent la problématique Baka et pour lesquels des campagnes de sensibilisation sont menées en vue de limiter les effets pervers de leur sédentarisation. Oloa Nadège, deuxième conseillère à la Mairie indique : « Nous avons un programme pour les Bakas, (…). Il a trait au développement, à la santé et à l’éducation. Nous encourageons l’agriculture chez les Bakas ».
Travailleurs ou exclus sociaux ?
Ces comportements vis à vis des Bakas violent plusieurs dispositifs légaux. On peut citer le préambule de la Constitution qui précise entre autres que « l’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi » et dit que «l’Etat assure à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur développement ». Le Décret n° 2014/2217/PM du 24 juillet 2014 portant revalorisation du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) n’est pas respecté au même titre que le pacte international relatif aux droits civils et politiques. Son article 8(2) qui dit que « nul ne sera tenu en servitude ». Pour de nombreux juristes, c’est en outre le droit à la santé des Bakas qui est bafoué à cause de la distribution abusive des whiskies en sachet supposés interdits de circulation. Ces violations sont plus explicites à la lecture de la déclaration universelle des droits de l’homme en son article 25 où il est dit que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille (…) ».
Hervé Ndombong,
avec le concours de Rainforest journalism Fund soutenu par Pulitzer Center