« Négocier avec Boko Haram reviendrait à reconnaitre leur légitimité. »

Hans de Marie HEUNGOUP, Analyste Chercheur a l international crisis group.

Comment analyser la recrudescence des attentats de Boko Haram au Cameroun et au Tchad ?

La recrudescence des attaques du mouvement terroriste Boko Haram (devenu Etat islamique en Afrique de l’Ouest en mars 2015) s’origine dans la stratégie de régionalisation de cette nébuleuse. En effet, depuis 2010 déjà, ce groupe était tiraillé de l’intérieur entre partisans d’un jihad exclusivement focalisé sur le Nigéria et partisans d’un Jihad plus régional, comme Khalid Al-Barnawi. Finalement, ce sont les partisans de la régionalisation qui l’ont emporté, car cette régionalisation s’inscrivait elle-même dans le renouveau et l’ancrage internationaliste de l’idéologie takfiriste incarnée par Al-Qaeda (notamment dans les zones commandées par Ayman Al-Zawahiri) et plus récemment par l’Etat Islamique. Par ailleurs, si Boko Haram n’a commencé à cibler le Cameroun qu’en 2013 et le Tchad en 2015, en réalité, depuis 2009 cette nébuleuse avait déjà commencé à tisser sa toile à travers des cellules dormantes au Cameroun, au Tchad et au Niger.

Deuxio, cette recrudescence des attaques s’explique par l’implication militaire de ces deux pays dans la lutte contre Boko Haram ; laquelle implication a causé d’énormes pertes à la secte. Par conséquent en guise de représailles, cette dernière a décidé d’attaquer tous azimuts le Cameroun et le Tchad. Le cas tchadien est particulièrement frappant, car de nombreux témoignages prouvent que Abubakar Shekau (le parangon actuel de la nébuleuse) avait explicitement demandé à ses partisans de ne pas attaquer le Tchad, et ce n’est que lorsque le Tchad s’est militairement investi dans cette guerre que les attaques ont commencé à se multiplier côté tchadien.

Tertio, cette recrudescence constitue une stratégie insidieuse d’appel d’air de la part de Boko Haram et d’occupation du terrain jihadiste dans le pourtour du lac Tchad. Conscients de leurs difficultés actuelles à mener des attaques de grandes ampleur impliquant des centaines d’hommes, comme ils ont pu le faire jusqu’en février 2015, la secte multiplie des attentats-suicides et des attaques de basse intensité dans le but de maintenir les populations des régions frontalières dans la peur et de harceler et épuiser moralement les troupes de la force sous régionale, déjà déployées à Mora. Concomitamment, cette recrudescence des attaques en lien avec la stratégie de régionalisation, permet à la secte de gagner en crédibilité et respectabilité dans l’univers jihadiste mondial. Le risque est donc de voir à moyen terme des jihadistes internationaux, probablement usés par l’enlisement du jihad dans la zone sahélienne, rejoindre Boko Haram en grand nombre. Assez paradoxalement, l’implication des armées de la région dans cette lutte est aussi du pain béni pour Boko Haram qui peut désormais se présenter devant ces pairs jihadistes internationaux comme la principale organisation terroriste de l’Afrique subsaharienne, capable de résister à la fois à cinq armées de la région et à des conseillers militaires occidentaux et des drones.

S’agit-il pour la secte de conforter son allégeance à l’Etat islamique ?

Oui sans aucun doute, mais il s’agit aussi en filigrane, pour les dirigeants de ce groupe, de réaffirmer que nonobstantl’implication des armées de la région et des conseillers occidentaux, le groupe demeure opérationnel et a conservé sa capacité de nuisance diabolique.

Finalement que peuvent les Etats du Bassin du lac Tchad ?

Ils peuvent déjà commencer par mettre de côté certaines de leurs querelles routinières pour impulser une vraie coopération politico-sécuritaire et économique basée sur la confiance. C’est la condition préjudicielle pour parvenir à un règlement de ce problème. D’autres questions comme celles du financement de la force régionale peuvent trouver des réponses à la fois sur le plan international, mais aussi sur le plan national, car en réalité un pays comme le Nigéria, qui dispose d’un PIB de plus de 530 milliards de dollars (16 fois le PIB du Cameroun),a les moyens de financer en grande partie cette force régionale.

Selon vous peut-on négocier avec la secte ?

Oui on peut négocier avec certaines des franges et factions de Boko Haram. A ce sujet, il convient de rappeler que le gouvernement Nigérian a par le passé tenté plusieurs initiatives dans ce sens qui se sont hélas toujours soldées par des échecs qui ne sont pas toujours imputables aux factions qui voulaient négocier. Cependant, la vraie question est le doit-on ? Et la réponse est catégoriquement Non : car il ne s’agit ni d’un groupe rebelle, ni d’un mouvement politique, ni même encore d’un groupe criminel comme les autres. C’est une organisation terroriste dont les actes sanglants sont constitutifs de crimes contre l’humanité. Par conséquent, il n’existe de base juridique, ni de base sociale et politique et encore moins de base légale pour envisager une négociation avec ce groupe. Par ailleurs, une telle option déboucherait sur des impasses sur le plan pratique, car Boko Haram est une nébuleuse comportant au moins six fractions.Que devra-t-on faire des factions refusant de négocier ?Et quel message moral et dissuasif enverrait-on aux autres coteries et fanatiques en hibernation tentés par l’aventure jihadiste ? Négocier avec Boko Haram reviendrait à reconnaitre leur légitimité.

La solution est- elle politique ou militaire ?

Les deux solutions sont indispensables et complémentaires. A côté du politique et du militaire, il faudrait également davantage de programmes de développement économique et social de toutes les régions frontalières au lac Tchad.

 

Interviewé par Jean Patient Tsala

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