Society

Insécurité et incivisme dans les milieux scolaires : Il faut passer aux actes !

Douala, vendredi 29 mars 2019, le lycée bilingue de Deido a été le théâtre d’un drame qui a mis cet établissement sous les feux de l’actualité. L’élève Rosmann Bleuriot Tsanou, 17 ans, en classe de seconde dudit établissement est mortellement blessé par l’un de ses camarades à la suite d’une rixe. Conduit en urgence à l’hôpital du district de Deido, il succombera à ses blessures.  Que faire après les analyses ? 

 

 

Un drame qui laisse des parents éplorés, mais qui remue aussi pour le remonter en surface, un phénomène à notre avis négligé. Le fait est-il nouveau? Non! Loin s’en faut. Le même établissement, un mois plus tôt, avait déjà connu un autre drame : deux élèves, des garçons, inscrits en classe de  Upper sixth Arts (l’équivalent de la Terminale dans le système francophone), avaient été accusés d’avoir abusé sexuellement un garçon de la classe de sixième.  Le point commun entre les deux évènements criminels, c’est qu’ils ont été prémédités donc prévisibles, d’autant que leurs auteurs, des élèves radiés pour indisciplines ou identifiés comme des semeurs de troubles sont connus de l’appareil sécuritaire et de l’administration de l’établissement. Assassinat et viol; des crimes majeurs commis par de jeunes Camerounais mineurs, au sein d’un établissement scolaire. D’autres faits aussi dramatiques ont eu lieu dans d’autres établissements de plusieurs villes du pays. 

Le 21 avril 2016, dans la ville de Yaoundé, l’élève Bienvenu Messanga Mebara, 21 ans, trouvait la mort après une agression, par ses camarades, à la sortie des épreuves sportives de l’examen probatoire. Le 24 novembre 2017, au Collège Sophia sis à Nkolfoulou à Yaoundé, l’élève Menedi Dave, âgé de 18 ans, en classe de terminale, a été arraché à la vie suite à un coup de poignard assené par son camarade de classe, dans la salle de classe, à 9h.   Le 24 janvier 2018, aux environs de 17h, au quartier Noyombé, dans la ville de Yagoua, région de l’Extrême-Nord, le nommé Kampété Rambou, né en 1999, a trouvé la mort, poignardé, alors qu’il tentait de séparer la bagarre entre deux groupes de jeunes.  Il y a de cela 3 semaines, un élève de la classe de première au lycée d’Etoug-Ebe à Yaoundé trouvait la mort après avoir organisé, avec ses camarades de classe, une consommation d’alcool et de drogue consommé communément appelée «charter».  Le 27 avril 2014, 26 élèves, 13 filles et 13 garçons, âgés entre 13 et 14 ans, étaient exclus, surpris en plein tournage d’un film pornographique, dans un domicile sis au quartier Djemoun à Bafoussam. Ils avaient pris la peine d’installer des cameras avant de réaliser leur forfait. Ces élèves avaient été identifiés comme fréquentant les lycées de Tougang, Classique et Bilingue de Bafoussam, le complexe polytechnique bilingue privé laïc Tama (Copobit). Des mégots de cigarettes, des sachets de whisky, des préservatifs utilisés et non utilisés avaient été retrouvés sur les lieux. Un mois avant, le 18 mars, 12 élèves du lycée classique de Bafoussam (6 filles et 6 garçons), la majorité en classe de 3e, s’étaient retrouvés aux heures de cours dans la chambre occupée par un élève de la terminale. L’alerte avait été lancée par les vigiles ; ce qui avait permis de mettre main sur les mis en cause qui ont par la suite été exclus de l’établissement. Quelques semaines après, c’était au tour du lycée bilingue de Bafoussam de se séparer d’une quarantaine d’élèves pris dans des situations similaires.  

Le lycée bilingue de Deido n’est donc pas un cas isolé, Yaoundé, Douala et Bafoussam, pour ne citer que ces trois plus grandes agglomérations urbaines du pays, recèlent de nids et des réseaux entiers de délinquants juvéniles qui sévissent au sein et autour des établissements scolaires en y perpétrant toutes sortes d’actes délictuels et criminels des plus répréhensibles au grand dam des élèves et de leurs parents. 

Tramadol, la gélule de la violence et de la mort en vente libre et à vil prix 

Récemment, en mai 2018, Emmanuel Jules Ntap, dans un reportage sur le lycée bilingue de Yaoundé au micro de la Voix de l’Amérique met l’accent sur la délinquance qui y sévit et dénonce le laisser -aller face à la prolifération de la consommation de la drogue dans cet établissement de 7000 élèves, l’un des plus grands de la capitale où des dealers déguisés en élèves circulent quasiment au nez des vigiles, surveillants généraux et censeurs, et développent un réseau connu de vendeurs. Stephen Ncha Chi, proviseur dudit établissement reconnait et dénonce au micro de la voice of America (VOA), l’ampleur du phénomène de la consommation du cannabis et du tramadol, cette dernière drogue facilement accessible aux abords des établissements scolaires et dans les marchés des grandes villes. Vendu à un prix variant de 25 à 100 Fcfa seulement, cette drogue fait de graves ravages au sein des populations scolaires et n’épargne ni les filles ni les garçons : comas épileptiques, folies, mort subite en sont les conséquences fréquentes et majeures, mais la dépendance à ces drogues explique les actes de violences, les crimes de viols ou d’assassinats commis autour et au sein des établissements scolaires en particulier publics de Yaoundé ou en banlieue urbaine. Des établissements publics devenus, selon Titus Ndi Dulong de l’Association Empower Cameroun, des fiefs de consommation de cette drogue de synthèse qu’est le Tramadol encore appelé tramol. Par ailleurs souligne Empower Cameroon, de douze à  quinze mille élèves scolarisés, des adolescents d’au moins 12 ans consomment du cannabis. Le laxisme disciplinaire face à une culture de nomadisme scolaire encouragé par nombre de parents des élèves récalcitrants et indisciplinés caractérisés et acceptés par les responsables d’établissements avides de recettes; les exclusions temporaires intempestives et inefficaces qui exposent des adolescents fragilisés aux influences de la rue et aux attraits des lieux de délinquance et de dépravation, l’influence des médias, sont selon Titus autant de paramètres non maitrisés favorisant la délinquance scolaire. 

Plus le temps passe, le phénomène va grandissant. Après échanges avec les parents et certains enfants, les «taxeurs», pour ne pas parler des agresseurs à cols blancs sur les campus scolaires et des «dealers», ou vendeurs de drogues multiformes, pullulent sur les campus scolaires. Bien que connus, personne ne voudrait les dénoncer auprès de l’administration ou des opérateurs compétents à savoir la police ou la gendarmerie. Or, en dénonçant de tels fléaux, cela peut limiter les dangers, risques et autres cas de meurtres/assassinats encourus dans les établissements scolaires. L’une des raisons qui contribue à la montée vertigineuse du crime et autres actes de déviances en milieu scolaire c’est la peur des représailles de la part des élèves. Pour nous de la société civile, les élèves ne sont pas seulement le problème, mais font partie de la solution.  

Programme d’éducation à la citoyenneté active et à la culture (PECAC)

Une contribution à la lutte contre l’incivisme et la consommation  de la drogue en milieu scolaire L’Association Zenü Network par son ancrage résolu dans la recherche de solutions adaptées aux problèmes de la gouvernance scolaire a développé un programme pour contribuer à faire face à cette crise qui sévit au Cameroun. Son expérience dans la lutte contre les déviances scolaires, menées depuis une quinzaine d’années dans les régions de l’Ouest et du centre, lui permet de se proposer comme un centre d’expérimentation et de diffusion d’approches et de modèles de gestion des différents  aspects de la mal gouvernance scolaire. Qu’il s’agisse d’une part de la corruption si bien greffée dans la plupart des établissements scolaires sur les processus d’inscription des élèves, de la gestion de leur éducation à travers  la sanction de leurs travaux ou de leurs conduites, d’autre part, de la gestion des des Associations de Parents d’Elèves et d’Enseignants, ces APEE habilement transformées en instrument d’extorsion de fonds, une sorte de fonds de commerce gérés par des membres véreux. D’autre part, Zenü agit et interagit avec les autres associations de la société civile contre les trafics de notes par les parents, les trafics d’influence par les responsables d’établissements ou par les parents, la lutte contre les harcèlements sexuels des filles par les enseignants.  

Travaillant en réseau, Zenü Network a su fédérer autour de son concept un réseau de 24 organisations de la société civile travaillant en synergie et en étroite collaboration avec le CNJC, Conseil National de la Jeunesse au Cameroun. Globalement, ce sont 8 départements, 40 communes et environ 420 établissements scolaires de l’Ouest auquel vont s’ajouter depuis 2017, le département du Mfoundi avec en vue 80 établissements qui seront couverts par le réseau de Zenü et associations affiliées. Ce sont au total prés de 290 000 filles et garçons des enseignements secondaires sur lesquels portent les actions menées par le réseau animé par Zenü Network. 

Dans son rôle d’organisation de la société civile travaillant sur l’éducation à la citoyenneté en milieu scolaire, Zenü Network, en partenariat avec la Délégation Régionale des Enseignements Secondaires de l’Ouest avait pensé un dispositif pour aider les chefs d’établissements à mieux gérer leurs structures. Au début de l’action, ce fut le Mécanisme de Protection des Dénonciateurs des actes de Corruption en milieu scolaire (MEPRODEC). Dans «actes de corruption» qui ont été dénoncés, nous prenons en compte le monnayage des notes, les trafics d’heures d’absence, la falsification des bulletins, le harcèlement sexuel. Dans le cadre du PECAC, ce mécanisme acté autour de la corruption s’est mué en instrument de veille sur les aspects de la gouvernance scolaire. C’est ainsi que la dénonciation du vandalisme, de la consommation des drogues et des stupéfiants, de l’irresponsabilité de certains enseignants et responsables a commencé à se rendre visible dans les boîtes. Le dispositif repose sur quatre piliers : 1- Les Clubs d’Éducation Civique et Intégration Nationale (CECIN) pour la sensibilisation, la mobilisation et l’éducation 2- Les boîtes à dénonciations (avec un code de dénonciation anonyme) 3- L’Observatoire de la gouvernance scolaire (pour enquêter sur la véracité des faits dénoncés, rapporter et suivre les sanctions) 4- La personne relais (personne intègre à qui les enfants ou les enseignant peuvent se confier en dehors des boîtes à dénonciations). Si les chefs d’établissement s’approprient le dispositif et font fonctionner ses différents piliers, nous sommes persuadés que cela pourra contribuer à briser la glace de la peur chez les jeunes et libérer en eux des énergies leur permettant de dénoncer en toute quiétude ces «taxeurs» et les «dealers» qui se baladent dans les établissements scolaires et sèment la terreur. Ainsi, les chefs d’établissements et les autres membres de l’administration scolaire que sont les censeurs et les surveillants généraux pourraient ainsi avoir toutes les informations nécessaires pour une prise de décision cohérente. Certes d’autres facteurs de prime abord impondérables existent qu’on peut évoquer et qui attendent des solutions infrastructurelles et des normes pédagogiques à faire observer et respecter. Entre autres, la pléthore des effectifs et l’inadéquation de la proximité des débits de boissons, casinos et autres structures encourageant la débauche, avec les établissements scolaires sont de toute évidence des tendances à proscrire. Mais cela relève d’une autre dimension de la responsabilité civique que la nôtre. 

Nous invitons les responsables des établissements et les enseignants à ne plus avoir peur des boîtes à dénonciations. Ce sont des instruments d’aide qui permettent de bien assumer la mission pour laquelle ils ont prêté serment. En restant intègre et avec l’appui de l’administration scolaire, les piliers du dispositif que propose Zenü Network et ses partenaires associatifs permettront de juguler la crise de la violence qui s’empare de nos lycées et collèges. 

L’animation et les pistes de travail avec les boîtes à dénonciation, les Clubs d’Éducation Civique et Intégration Nationale et le fonctionnement de l’observatoire sont expliquées dans « La Mallette Pédagogique » pour l’Education Civique et l’Intégration Nationale. Cette mallette est conçue d’après le Référentiel National d’Education Civique et mise gratuitement à la disposition des établissements scolaires secondaires, publics, privés laïcs et confessionnels, pour l’encadrement des enfants dans le cadre des activités post et périscolaires.  

Quelques thèmes développés dans la Mallette Pédagogique et ayant trait à la thématique des déviances en milieu scolaire : – Lutter contre l’alcool et les drogues  – Les comportements déviants et leurs conséquences sur la sociabilité   – Se défendre en cas d’abus sexuel : sois maître de ton corps – Se défendre en cas d’abus sexuel : dire «non» de façon efficace – Prévenir et contrer le harcèlement sexuel. Nous pensons fermement qu’en plus de l’utilisation du règlement intérieur, les autres moyens légaux de sensibilisation et de répression, le dispositif que propose Zenü Network est un outil supplémentaire qui pourra contribuer efficacement à lutter contre ces fléaux et toutes les autres formes de déviances en milieu scolaire. Bien entendu, en mettant en exergue le triptyque « Famille, Ecole, et Communauté», qui constitue une approche indéniable dans la recherche des solutions durables à ce problème.  

 

Par Flaubert DJATENG , Coordonnateur de Zenü Network

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