Deux jours après la présidentielle, la bataille de la communication fait rage. Le Conseil constitutionnel, seul maître du temps, doit gérer la pression croissante des candidats, dont les déclarations antagonistes ravivent les tensions.

Photo credit: BBC Afrique

Deux jours se sont écoulés depuis le scrutin présidentiel du 12 octobre 2025 au Cameroun, et l’atmosphère politique, loin de s’apaiser, se charge d’une tension électrique.

Le pays vit sous la loi du silence institutionnel, celle dictée par la Constitution : seuls les résultats définitifs et inattaquables, qu’ils soient partiels ou provisoires, seront proclamés par le Conseil constitutionnel, lequel dispose d’un délai maximal de quinze jours pour le faire.

Dans ce vide informationnel, c’est la bataille de la communication qui a pris le relais, transformant la scène médiatique en une arène où les candidats se mesurent à coups de déclarations chocs, chacun tentant d’imposer son narratif avant le verdict officiel. Cet activisme précoce, loin d’être anodin, met à rude épreuve la sérénité du processus et la patience des Camerounais, habitués aux longues attentes post-électorales mais sensibles aux prémices d’une possible crise.

La Bombe Issa Tchiroma Bakary : Annonce de Victoire et Riposte du Régime

​L’étincelle qui a allumé la mèche est venue, une nouvelle fois, du Nord. Dans la nuit de lundi à mardi, depuis son domicile de Garoua, le candidat Issa Tchiroma Bakary, figure de l’opposition ayant bénéficié d’un élan de mobilisation inédit, a rompu avec la réserve de rigueur. Dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux et dans les médias, il a annoncé, sans détour, une « victoire » qui « dépasse sa personne », promettant la publication prochaine d’un rapport « détaillé » sur le déroulement du vote.

​Cette déclaration, interprétée par beaucoup comme une tentative d’occuper le terrain psychologique et d’anticiper le Conseil constitutionnel, a immédiatement provoqué une onde de choc au sein du camp du pouvoir. Le ministre de l’Administration territoriale (Minat), Paul Atanga Nji, a réagi avec une virulence inhabituelle. Qualifiant les faits de « d’une extrême gravité », il a dénoncé l’initiative d’Issa Tchiroma Bakary comme une violation flagrante des lois qui confient l’exclusivité de la proclamation des résultats au Conseil constitutionnel. Au-delà du rappel à l’ordre légal, la fermeté du ton du Minat traduit la nervosité du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, face à une opposition plus audacieuse qu’à l’accoutumée.

​L’escalade s’est poursuivie avec l’entrée en scène de Jacques Fame Ndongo, cadre influent du RDPC, qui a brandi le terme de « forfaiture » pour qualifier l’action du candidat. Pour le camp présidentiel, il s’agit de disqualifier moralement et légalement toute déclaration prématurée, de préserver l’autorité du Conseil constitutionnel et, in fine, de dissuader toute tentative de mobilisation populaire basée sur des résultats non officiels. L’attentisme serein revendiqué par le RDPC, « Le RDPC ne cèdera pas à la provocation et attend sereinement les résultats » masque mal l’impératif stratégique de contrer toute perception d’une défaite ou d’une remise en cause de sa suprématie.

 

L’Opposition entre Dénonciation des Irrégularités et Appel à la Modération

​Si Issa Tchiroma Bakary a choisi la posture du vainqueur autoproclamé, d’autres figures de l’opposition ont opté pour une stratégie de dénonciation des défaillances du processus, tout en prônant le respect du cadre légal.

​La candidate de l’Union Démocratique du Cameroun (UDC), Patricia Hermine Tomaïno Ndam Njoya, a ainsi dressé un inventaire cinglant des « nombreuses irrégularités » ayant émaillé le scrutin. Son constat, qui va de l’opacité du déroulement à la remise en cause de la crédibilité du processus, est une critique frontale d’Elecam, l’organe de gestion des élections, et du système qu’elle qualifie de « verrouillé ». Cette démarche vise à construire un dossier de contentieux, à documenter les fraudes présumées et à justifier par avance d’éventuels recours devant le Conseil constitutionnel, tout en alertant l’opinion nationale et internationale. Son discours, axé sur les principes démocratiques, met la pression sur les institutions chargées de la compilation.

​De son côté, Cabral Libii, le candidat du Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN), a préféré jouer la carte de l’apaisement et de la responsabilité. Son appel « à la prudence » et « à la patience » jusqu’à la « fin du travail de compilation » du Conseil constitutionnel se veut un message de modération. Cette position équilibrée cherche à éviter l’embrasement, tout en maintenant l’attention sur la légitimité du processus. En invitant au calme, il tente de se positionner comme un acteur politique mature et responsable, soucieux de la stabilité nationale, un positionnement stratégique pour l’avenir politique, quelle que soit l’issue.

​Quant au candidat du Social Democratic Front (SDF), Joshua Osih, il se contente d’une déclaration d’espoir, mais lourde de sous-entendus : le parti « espère que le Conseil constitutionnel proclamera les résultats finaux fidèlement tels qu’exprimés par le peuple et sans parti pris ». Cette formulation, qui évite d’accuser directement le régime de fraude, pointe du doigt le rôle du Conseil constitutionnel comme point de bascule. Elle met en lumière l’enjeu majeur de la période post-électorale : la neutralité et l’indépendance de cette institution suprême, qui sera jugée sur sa capacité à traduire « fidèlement » la volonté populaire.

L’Épée de Damoclès du Conseil Constitutionnel et la Pression de la Société Civile

​Le Conseil constitutionnel, présidé par un ancien dignitaire du régime, est le pilier central de ce moment d’incertitude. Sa responsabilité est immense, car il doit non seulement statuer sur d’éventuels recours mais aussi proclamer les résultats définitifs. Les quinze jours de délai sont perçus par l’opposition et la société civile comme une fenêtre de tir pour d’éventuelles manipulations ou des arrangements politiques en coulisse.

​Huit organisations de la société civile (OSC), dont le rôle de veille est crucial, ont d’ailleurs tenu à monter au créneau. Leur exhortation à Elecam (et, par extension, au Conseil constitutionnel) à faire preuve de « diligence » et à mener la suite des opérations avec « indépendance » est un cri d’alarme. L’objectif est clair : rappeler aux institutions leur devoir de neutralité et leur responsabilité historique de traduire « fidèlement » l’expression des urnes, au risque de décrédibiliser l’ensemble du processus et d’ouvrir la voie à des troubles post-électoraux. Les OSC craignent que le faible taux de participation dans les régions en crise (Nord-Ouest et Sud-Ouest) ou les problèmes logistiques ne servent de prétexte à des résultats contestables.

Le Risque d’une Crise de Confiance Aiguë

​Ce télescopage de déclarations, entre annonces prématurées de victoire, dénonciations d’irrégularités et rappels à l’ordre du pouvoir, est le reflet d’une profonde crise de confiance dans le système électoral camerounais. Chaque scrutin depuis l’instauration du multipartisme est marqué par des tensions post-électorales, mais le contexte de 2025 est particulièrement fragile.

​D’une part, le pays est en proie à une guerre larvée dans les régions anglophones et fait face aux menaces du terrorisme de Boko Haram dans l’Extrême-Nord, des facteurs de tension qui pourraient être exacerbés par des résultats contestés. D’autre part, la candidature du Président Paul Biya, à 92 ans et après plus de quatre décennies au pouvoir, a cristallisé les aspirations au changement d’une jeunesse majoritaire et désabusée.

​L’attitude d’Issa Tchiroma Bakary, qui fut lui-même ministre de Paul Biya avant de devenir un opposant farouche et le candidat d’une coalition de l’opposition, est particulièrement significative. En s’autoproclamant vainqueur, il force le débat et met le Conseil constitutionnel devant un dilemme : soit confirmer le candidat du RDPC et faire face à une contestation musclée du camp Tchiroma, soit valider les résultats en faveur de l’opposition et ouvrir une nouvelle page de l’histoire du Cameroun. La première option engendrerait un risque de troubles majeurs ; la seconde, bien qu’historique, pourrait également déstabiliser l’appareil d’État.

​En définitive, le Cameroun se trouve à la croisée des chemins. L’attente des résultats n’est pas un simple interlude administratif, mais une période de haute voltige politique où chaque mot, chaque réaction est analysée au microscope. Le sort du scrutin ne dépend plus seulement du décompte des voix, mais de la capacité des acteurs politiques et des institutions à faire preuve de responsabilité. La « forfaiture » dénoncée par le pouvoir est un miroir tendu à la « crédibilité » et à l’«indépendance » exigées par l’opposition. Le verdict du Conseil constitutionnel sera donc bien plus qu’une simple proclamation : il sera l’acte fondateur, ou le point de rupture, d’une nation en quête de stabilité et d’alternance pacifique. Le compte à rebours est lancé, et le Cameroun retient son souffle.

 

Achille Renebo Kebgon

 

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