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VIH/SIDA : Accès aux soins de Santé, les Populations Clés Marginalisées

Au Cameroun, les populations clés ou encore key populations s’indignent contre la stigmatisation et la discrimination dont elles sont victimes en matière d’accès aux services de santé.

Kevin(prénom d’emprunt)est un jeune homme ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, qui a découvert dans son statut sérologique qu’il avait été testé positif au VIH. Au moment de son ravitaillement en antirétroviraux (ARV), il se rend dans un hôpital de Yaoundé pour la dispensation, mais au niveau de l’unité de prise en charge(UPEC) personne ne le reçoit. Des clients et d’autres patients viennent après lui et sont servis. Lorsque ce dernier va vers l’infirmière, elle lui répond à haute voix et en ces termes : « Je ne suis pas responsable de ton sida pardon attend. Quand on vous dit de ne pas coucher avec les hommes, c’est l’abomination, vous ne comprenez pas ! Voilà, un jeune comme toi, tu as eu la foudre de Dieu et tu voudrais que le seigneur me frappe aussi ? Pardon va attendre là-bas on va te servir le moment venu… »

Kevin nous confie que malgré la honte et les regards des personnes présentes au moment des faits, il a pris son mal en patience pour la bonne cause de sa santé. Il a été reçu aux environs de 15heures ce jour après une longue attente. Courroucé et en colère il a décidé de ne plus jamais remettre ses pieds dans cette formation sanitaire mais de se rapprocher des organisations à base communautaires pour une dispensation en communauté.

crédit photo: Actucameroun-illustration d’un hôpital de Yaoundé

Une scène réelle qui décrit les difficultés que subissent, au Cameroun, les populations clés que sont : les travailleuses de sexe(TS), les Hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres Hommes (HSH) et les usagers de drogues  injectables (UDI).

Et d’après des études menées sur le terrain par des organismes nationaux et internationaux, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ou les professionnelles du sexe vivant avec le VIH expérimentent des situations de rejet social et particulièrement d’auto-stigmatisation. Des données d’enquête récente montrent qu’ils sont peu enclins à dévoiler leur statut VIH, même dans leur environnement personnel. Par exemple, seuls 29% des professionnelles du sexe vivant avec le VIH avaient dévoilé leur statut à leurs partenaires réguliers qui ne les payaient pas. S’agissant des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes vivant avec le VIH, 50% d’entre eux avaient dévoilé leur statut à leurs partenaires réguliers et 20% à leurs partenaires occasionnels (Johns Hopkins University et al. 2017).

Selon le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/Sida (ONUSIDA), les inégalités économiques, sociales, culturelles et juridiques doivent prendre fin de toute urgence si « nous voulons éradiquer le sida d’ici 2030 ». Un appel qui vient à point nommé au vu de la thématique choisie pour la commémoration de la journée mondiale de lutte contre le sida, placée sous le thème :« Mettre fin aux inégalités. Mettre fin au Sida. Mettre fin aux pandémies. »

Dans sa note indicative à la 34e édition de la journée mondiale de lutte contre le Sida qui se célèbre ce 1er décembre 2021, ONUSIDA souligne le fait que la prise en compte des Droits de toutes les populations sans aucune discrimination et stigmatisation est cruciale dans l’atteinte des 90-90-90 et l’éradication du VIH/Sida d’ici 2030.

ONUSIDA indique que : « Lutter contre les inégalités n’est pas une promesse nouvelle, mais l’urgence n’a fait que s’accroître. En 2015, tous les pays ont promis de les réduire au niveau national et international dans le cadre des Objectifs de développement durable. Par ailleurs, l’éradication des inégalités est au cœur de la Stratégie mondiale contre le sida 2021–2026 : Mettre fin aux inégalités, mettre fin au sida, et au centre de la déclaration politique sur le VIH/sida adoptée lors de la Réunion de haut niveau des Nations Unies sur le VIH/sida en 2021. Lutter contre les inégalités est essentiel pour éradiquer le sida, mais aussi pour promouvoir les droits humains des populations clés et des personnes vivant avec le VIH, pour instaurer des sociétés mieux préparées pour vaincre la COVID-19 et d’autres pandémies, mais aussi pour favoriser la reprise et la stabilité économiques. Tenir cette promesse, c’est sauver des millions de vies et améliorer la société dans son entier. »

Combattre les inégalités

Cette thématique fort évocatrice pour bon nombre de défenseurs de droits humains et responsables des organisations communautaires qui œuvrent pour le respect des droits des communautés LGBTIQ au Cameroun, a tout son sens et permet de mettre sur la table les multiples discriminations auxquelles font face ces groupes de personnes dans notre société. Pourtant la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUH) du 10 décembre 1948, stipule dans son article 1er, que : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

L’article 7 de la DUH va plus loin pour souligner le fait que tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination.

En dépit de l’application de la DUH, les réalités sont autres, la criminalisation des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe est une entrave à l’accès aux services sanitaires et publics en général au Cameroun.

Le Coordonnateur des droits humains et du plaidoyer pour la Cameroonian Foundation for AIDS (CAMFAIDS), Ebenezer Munkam dans ses propos dit : « Cette criminalisation des rapports sexuels entre personnes de même sexe nourrit la peur chez des Personnes LGBTI vivant avant le VIH ou autres IST et infections. Elles ne se font pas dépister de même qu’elles brisé difficilement le silence sur les pathologies dont elles souffrent et cela complique la prise en charge qui survient très souvent tard. » 

Dans le même ordre d’idée, Yves Cyrille Tonkeu, responsable droits humains et plaidoyer pour l’association Humanity First Cameroon plus (HFC+) affirme que  cette journée commémorative pour eux met en exergue dans un premier temps, le travail déjà effectué dans la lutte contre le VIH au Cameroun. Et, est aussi l’occasion de se questionner sur les avancées et entraves qui minent les droits humains des populations clés. Il dit que plusieurs jeunes ou encore certaines populations clés n’adhèrent pas au traitement du VIH tout simplement parce que ces derniers ont subi des cas de stigmatisation et discrimination. 

Yves Cyrille Tonkeu souligne que : « La principale entrave que nous avons c’est l’existence de la loi pénale, qui est le résultat de plusieurs autres barrières comme la stigmatisation, la discrimination ou même le refus de rendre un service public dans les formations sanitaires…Ajouté à ceci, il ya l’insuffisance de formation sur les questions d’identités de genre, des droits humains et même sur les questions d’orientation sexuelles, d’éthique et de déontologie du corps médical. Je pense que c’est quelque chose de mal et qui devrait être accentuée pour pouvoir permettre aux personnels soignant qui sont des gens qui font un travail louable, d’avoir des connaissances sur ces questions sensibles et pouvoir adresser les services qu’il faut aux personnes qu’il faut. Parce qu’il faut soutenir que l’on ne parle pas ici d’une population clés de façon particulière mais on parle ici de l’individu. Et en tant que responsable droits humains, je me dis qu’il est important que l’on mette dans nos habitudes que, en ce qui concerne le service public qu’on rend à une personne on le rend à un individu qui est une entité importante de l’Etat… »

Pistes de solutions

Ebenezer Munkam propose que les nombreux plaidoyers qui sont en cours doivent davantage être orientés vers la dépénalisation des pratiques entre personnes de même sexe.

« Il serait bénéfique pour l’ensemble de la population que les pratiques entre personnes de même sexe soient dépénaliser et que les actions de prévention et d’informations, d’éducation et de communication soient renforcées publiquement et dans les médias, non seulement en direction de toute la population mais spécifiquement en direction des communautés au sein desquelles l’épidémie est concentrée notamment les HSH (Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes), des Personnes Transgenres et des personnes travailleuses de sexes. » Dit-il.

La demande de financement pour la période d’allocation 2020-2022 sur la tuberculose et le VIH au Cameroun indique, qu’en 2018, au niveau national, le nombre de TS a été estimé à 70.487, celui des HSH à 7.023, celui des UDI à 2.453 et les autres usagers de drogues à 9.823 avec des effectifs qui varient selon les régions et les villes.

Elise Kenimbeni

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