Sadia Madi fait partie de ces féministes qui militent pour les droits des femmes et des jeunes filles dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun.
Elles sont nombreuses à avoir regagné le goût à la vie après plusieurs années de violences physique, de mariages précoces, des abus sexuels et de rejet en communautés, ceci grâce à l’association des jeunes engagés et unis pour le développement participatif (AJEUDEP).
Cette jeune association basée à Maroua dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun ne cesse de démontrer ses prouesses à travers le dynamisme de sa présidente, Sadia Madi.
Cette jeune défenseure des droits de l’Homme et féministe engagée, œuvre depuis plus de cinq (05) déjà à restaurer la dignité des femmes et jeunes filles dans cette partie du pays où les droits de ces dernières sont très souvent bafoués.
Militante des droits de l’Homme dans l’âme, Sadia a fait de la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG), et de l’autonomisation des femmes et jeunes filles son cheval de bataille. Elle vit pour l’épanouissement des victimes des VBG.
Croisade contre les VBG
Parmi les nombreuses victimes des violences basées sur le genre que l’AJEUDEP a suivi sur le plan psychologique et a par ailleurs formé à la réinsertion économique, il y’a Fatima (nom d’emprunt pour des raisons de sécurité).
Fatima, victime de violences physique et de mariage précoce est aujourd’hui mère de deux enfants. Elle est partie en mariage de forceps alors qu’elle était âgée de 15 ans et faisait la classe de 5eme. Celle-ci a été contrainte d’épouser un homme de la soixantaine pourtant elle voulait poursuivre ses études pour un avenir radieux.
Comme plusieurs jeunes filles de son âge, Fatima a été « chassée » du domicile familial par ses parents qui n’ont qu’eu d’yeux pour de l’argent.
Fatima relate : « Ils m’ont demandé de laisser mes études pour partir en mariage sinon ils ne payeront plus jamais mon école et je perdrais leur considération. Espérant qu’ils allaient un jour changer d’avis pour me comprendre, j’ai résisté à cette décision mais ça n’a pas était le cas, ils sont restés sur leur position. Étant désespérée, j’ai continué à aller à l’école. Cependant, à l’école, on me chassait toujours pour insolvabilité des frais de scolarité mais je repartais à l’école chaque fois, ceci jusqu’au jour où le proviseur m’a demandé de ne plus mettre mes pieds dans l’enceinte de l’établissement si je n’avais pas d’argent. Je suis rentrée à la maison et n’ayant plus le choix car je devais choisir entre le mariage et être expulsée de la famille, je me suis repliée sur moi-même et j’ai obéit à mes parents. J’ai opté pour le mariage. »
Mariée à l’âge de 15 ans, la vie de Fatima n’a pas été un fleuve tranquille. Elle a subi tout genre de violences et sévices, ensuite a pris la poudre d’escampette avec ses deux enfants. Selon la victime qui a été encadrée par AJEUDEP, c’était une question de vie ou de mort.
Elle ajoute : « Arrivée dans mon foyer conjugal, j’ai découvert que mon mari avait épousé trois (03) autres femmes et il avait des enfants. Au fil des mois, mes journées n’étaient pas paisibles dans cette maison. Ce foyer est devenu insupportable avec les injures et les humiliations qui étaient récurrentes. Malgré mes plaintes, mon mari faisait la sourde oreille. J’ai vécu le martyr. Et un jour, mon mari a levé la main sur moi. Il m’a battu. C’était devenu une routine. J’ai pu m’échapper et abandonner ce mariage. Aujourd’hui, mon plus grand regret est de ne pas avoir poursuivi mes études pour atteindre mes ambitions et j’ai perdu ma vie complètement. J’ai perdu espoir mais grâce à l’association AJEUDEP, je peux dire que j’ai repris goût à la vie. L’équipe de cette association m’a appris à regagner confiance en moi. Ensuite, j’ai été formée en couture car il fallait à tout prix que j’apprenne un métier afin de nourrir mes deux enfants puisque le père s’est désengagé de ses responsabilités. J’ai décidé de recommencer une deuxième vie malgré la stigmatisation de la société qui me considère comme un objet de deuxième main. »
Le vécu de Fatima est également celui de plusieurs jeunes filles qui sont impuissamment poussées entre les mains des hommes âgés dans certaines régions du pays où ce fléau de mariages précoces perdure.
Sadia Madi, une activiste pas comme les autres
Dans la région de l’Extrême-Nord, précisément dans le département du Diamaré, la jeune féministe a su imprégner ses marques. En cinq ans d’existence, son association n’a cessé d’œuvrer pour les femmes et jeunes filles aux côtés du gouvernement et plusieurs organismes internationaux qui militent pour les droits de la gent féminine en général et de l’Egalite de genre en particulier.
« Ce combat sur les VBG notamment sur les questions de mariages précoces et forcés est mené depuis 5 ans à travers un mécanisme de prévention, et de dénonciation. Et ces actions ont toujours portées de résultats sur le terrain, ce qui se justifie par :un taux de dénonciation élevé ; la scolarisation de la jeune fille qui augmente de plus en plus ; l’implication des parents, des leaders traditionnels et religieux dans la dénonciation ; un taux élevé d’inscription des jeunes filles au centre de promotion de la femme et de famille afin d’apprendre un métier rentable ; un accompagnement des jeunes filles déscolarisées par le CPFF pour leurs insertions économiques. » a-t-elle indiqué lors de notre interview.
Selon la jeune activiste, il est question de travailler en synergie avec les différentes administrations, institutions et autorités locales pour mettre à nu ce fléau.
A travers son association, elle a initié un bon nombre de stratégies qui permettent aux victimes de dénoncer leurs différents bourreaux et de briser le silence.
« Les différentes stratégies mises sur pieds pour lutter efficacement contre les mariages précoces et forcés sont: les plaidoyers auprès des autorités administratives, les leaders traditionnels et religieux ; la sensibilisation dans les lieux de culte tel que les églises avec l’appui des responsables religieux ; Les sensibilisations par des témoignages des victimes ; l’illustrations des conséquences des mariages précoces et VBG à travers des sketchs ; Des dotations en fournitures scolaires aux jeunes filles afin d’encourager leur éducation etc. ; l’implication du personnel médical dans les séances des causeries éducatives pour présenter les conséquences telles que la fistule obstétricale ; les sensibilisations sur le mariage précoce lors des réunions des parents d’élèves car on a constaté que la majorité des filles vont en mariage dès les classes du primaire et en premières années du secondaire. »
Sadia Madi optimiste et positive au vu des nombreuses avancées dans la lutte contre les VBG espère voir une société où ces violences et violations des droits de l’Homme sont réduites à leurs simples expressions.
Elle souligne d’ailleurs qu’en matière de lutte contre les VBG, ils ont enregistré jusqu’ici plusieurs cas d’abandon de foyers par des jeunes filles qui ont été mariées précocement. AJEUDEP a pu interrompre certains mariages forcés grâce aux interventions des autorités locales.
« En ce qui concerne les questions de mariages précoces et forcés avec l’appui du Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille (MINPROFF), les autorités administratives, traditionnelles et religieuses, nous enregistrons de plus en plus des résultats probants. C’est le cas d’une jeune fille de 14 ans qui a été forcée à épouser un homme âgé, ayant été saisis, nous avons mené des démarches, grâce à notre intervention et avec l’appui des autorités compétentes, le mariage a été annulé. »
Le travail que mène Sadia Madi et son équipe au quotidien a été reconnu par plusieurs institutions locales et même des organisations internationales.
Lors de la journée internationale de la jeune fille qui se célèbre chaque 11 octobre, la championne des causes de femmes et jeunes filles a été invitée à prendre part à une réunion de plaidoyer à Paris en France. Bien avant, sur le plan national, la jeune héroïne a été congratulée à travers une lettre par la délégation départementale du MINPROFF. Des félicitations pour l’encourager dans ses initiatives qui portent des fruits et sauvent des « vies ».
Dans le cadre des 16 jours d’activisme qui sont observés du 25 novembre au 10 décembre 2023, Sadia Madi et sa team ont organisé une série de causeries éducatives avec des jeunes filles ainsi que des ateliers de renforcement des capacités et formation dans les différents arrondissements du département du Diamaré.
A propos de l’AJEUDEP
AJEUDEP est une association à but non lucratif, à caractère social, apolitique sans discrimination de sexe, d’ethnie ou de race qui œuvre entre autres pour la promotion de la paix à travers le développement de la santé communautaire ; de l’éducation de qualité et de l’entreprenariat jeune tout en luttant contre les violences basées sur le Genre VBG. Elle a pour mission : Promotion de l’entreprenariat jeune ; Autonomisation de la femme et de la jeune fille ; Développement local et durable ; promotion de l’éducation ; lutter contre les VBG-Protection des droits humains ; Protection de l’Environnement – Engagement citoyen.
Elise Kenimbeni